Les constructeurs du Néolithique étaient prévoyants. Pour se rappeler au bon souvenir des générations futures, ils ont semé des petits cailloux un peu partout. Des petits cailloux façon Néolithique, s’entend. C’est à dire des mégalithes de plusieurs tonnes. Et ça marche. Pour certains passionnés, cela peut même tourner à l’obsession.
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Un patrimoine accessible
Sébastien Joffre est de ceux-là. Depuis cinq ans, celui qui s’est baptisé « chasseur de dolmens » en collectionne les trophées photographiques. Une passion née « par hasard », à la lecture d’un livre sur la préhistoire dans les Deux-Sèvres, feuilleté dans un supermarché. Quoi que ses parents fussent installés dans les Côtes-d’Armor, département riche en mégalithes anciens, et bien qu’ayant entamé des études d’histoire – rapidement interrompues –, il n’avait pas d’intérêt particulier pour cette période, « mais la présence de ces réalisations tant de temps après leur construction m’a étonné », se rappelle-t-il.
Une curiosité naissante qui le conduit d’abord sur les chemins de campagne à la rencontre d’un ou deux dolmens dont il avait connaissance. Plus précisément sur les Sept Chemins, près de Bougon, dans les Deux-Sèvres, et du côté de Sainte-Soline, où il visite les tumuli de Monthioux, un ensemble long de 50 mètres et large de 22, probablement réalisé il y a 4 000 ans. « J’ai trouvé fascinant de pouvoir être en contact direct avec ces vieux monuments, alors que, par exemple, les grottes où figurent des peintures rupestres sont fermées au public », explique-t-il.
Le voilà alors mordu. Et d’autant plus motivé que l’enthousiasme qu’il se découvre l’aide à traverser une période de reconversion professionnelle pas forcément simple. « Je me suis épanoui, confie-t-il. J’avais très envie de partager tout ça, mais dans mon entourage, on ne se passionnait pas particulièrement pour les dolmens. » Alors, en 2019, Sébastien Joffre crée une page Facebook et publie ses clichés. D’autres fondus s’y retrouvent, qui partagent leurs découvertes. « J’ai des contacts d’autres ″mégalithophiles″ un peu partout en France, dans le Lot, en Bretagne, en Normandie, et même une amie en Bulgarie qui passe ses vacances à aller voir des dolmens », se réjouit-il encore. Désormais, ce sont près de 3 500 followers qui profitent des clichés du chasseur.
Pierres folles et chirons
On les comprend. Si l’on fait grand cas – à raison – du patrimoine breton en la matière, le Poitou se défend également très bien. Dans les Deux-Sèvres, on compte une soixantaine de sites existants ou ayant existé. Pierres levées, Pierre du sacrifice, Pierre Pèse, Pirelée de la Garde, polissoir de la Marotte, Pierre Folle des Hugues, et tumuli, témoignent d’une occupation ancienne et laissent songeur le promeneur.
De même dans la Vienne, où plus de 90 monolithes ont été répertoriés, aux noms tout aussi stimulant pour l’imagination : Maison du Fadet, Tombelle des Chirons ou de Saucouteau, Fondis Margaux, Pierre Folle de chez Chartères…
Sans oublier la Charente et ses 80 sites, dont quelques-uns ont été détruits au cours des années, ni la Charente Maritime, avec environ 90 monolithes identifiés, où là encore, certains ne sont plus qu’un souvenir.
Des sites qui ont chacun leur légende. Ici, la présence ou le miracle d’un saint. Là, les traces du passage de Gargantua. Ailleurs, le domicile de fées. Ou encore des pierres arrivées là par leurs propres moyens… Et gare à celui à qui viendrait l’idée de profaner l’une ou l’autre de ces constructions ! Sur la commune de Limalonges, la Pierre Pèse aurait été entourée d’auges en pierre qu’il était formellement interdit de déplacer, par crainte de punissions effroyables. Les chevaux de charretiers contrevenants en moururent et leurs charrettes furent détruites. L’un d’entre eux réussit malgré tout à emmener les auges. Il fut foudroyé.
Histoire, légendes, fantasmes…
Comme souvent les réalisations anciennes, ces monuments ont en effet une charge symbolique très forte. L’imagination galope et les récits légendaires passés trouvent encore un écho chez certains, non sans avoir subi quelques réappropriations et transformations, quand ils ne sont pas carrément inventés. Dans la petite communauté des followers de Sébastien, « certaines personnes n’adhèrent pas trop aux recherches archéologiques ou scientifiques… », dit-il. L’irrationnel séduit quelques passionnés qui veulent croire que ces sites dégagent une « énergie » particulière, et que s’y manifestent de mystérieuses forces telluriques qui justifieraient le choix de ces endroits comme lieux de culte par les anciens. Le chasseur de dolmens est tolérant : « Je dialogue également avec eux, car ce sont des gens qui sont aussi attachés à ce patrimoine, mais il faut reconnaître que ces explications sont toujours très floues. » Il a même tenté l’expérience d’aller, dans le Maine-et-Loire, dormir une nuit près de l’un de ces dolmens, qui servait à l’origine de chambre mortuaire. « Il se disait qu’au moment du solstice, il se passait des choses au lever du soleil. À cause leur orientation, la lumière du soleil levant est censée éclairer une zone particulière du dolmen. Mais un ami me l’avait déconseillé. ″Trop de charge″, disait-il. Mais charge de quoi ? Je ne sais pas. Alors j’ai voulu voir. Mais il faisait gris ce jour-là, et je n’ai rien vu ! C’était quand même une façon de profiter du lieu. » « Mais les gens qui pratiquent ce genre de choses et que l’on rencontre sur les sites ne sont pas toujours accueillants, poursuit-il. Ils ont une démarche spirituelle et ne voient pas toujours d’un très bon œil les visiteurs… »
Forces telluriques ou non, Sébastien poursuit son inventaire en suivant les petits cailloux, comme il rencontre les chercheurs. Depuis 2022, il a créé son activité de médiateur du patrimoine néolithique et présente une exposition de cinquante photos, en collaboration avec des spécialistes, comme un médiateur du musée de Carnac, ou un directeur de recherches au CNRS (lire l’encadré), auprès desquels il fait valider les légendes de ses clichés. Des images qu’il a présentées à Thouars à l’occasion des Journées du Patrimoine, ou au château de Périgny, à Vouillé. Désormais équipé d’un drone, il alimente sa chaîne Youtube « Chasseur de dolmens ». « Je souhaite aussi développer cette activité de médiateur auprès des scolaires », annonce le chasseur. Histoire de former les futurs petits Poucets…
Chronologie
- 1979 : naissance à Rennes
- 1999 : inscription en fac d’Histoire
- 2019 : ouverture de la page Facebook « Chasseur de dolmens »
- 2022 : exposition au château de Périgny
- 2023: exposition au musée des tumuli de Bougon
- 2024 : travaille sur son futur site internet
Le Néolithique près de chez vous
À Tusson, en Charente, l’association MégaNéo, qui réunit une vingtaine de bénévoles, chercheurs ou passionnés, se donne pour objectif la valorisation de ce patrimoine des régions nord Charente et nord Poitou, sa conservation et, surtout l’apport d’informations scientifiques auprès d’un plus large public. Un programme de recherche, élaboré il y a une dizaine d’années, a ainsi permis de restaurer un monument à Cusson et d’amorcer un autre projet de restauration à Saint-Laon, après des fouilles réalisées entre 2016 et 2019. L’association, présidée par l’archéologue Vincent Ard, accompagne ainsi les chercheurs, mais aussi les initiatives de médiation comme celles de Sébastien Joffre. « Il reste encore beaucoup de choses à apprendre de ces dolmens, assure Vincent Ard. comme leur datation, leur répartition, la sélection des personnes inhumées dans les tombes, les liens entre les habitants et le monde des morts… Notre but est d’apporter des connaissances et de les faire connaître, ce qui contribue aussi à rectifier certaines contre-vérités. » MégaNéo n’a pas hésité à investir les réseaux sociaux (Instagram, Facebook) pour diffuser toutes ces connaissances à un large public, particulièrement aux plus jeunes.