Le 26 novembre 1755, Stanislas peut enfin inaugurer en grande pompe la place Royale de Nancy. Quelle revanche sur l’accueil glacial qui lui a été réservé dix-huit ans plus tôt lors de son arrivée en Lorraine !

L’ancien roi de Pologne pensait que son action philanthropique assurerait la pérennité de son nom à travers les siècles. Il se trompait. C’est à son œuvre architecturale qu’il doit de demeurer pour toujours dans le cœur des Lorrains.

Nancy est alors constituée de deux villes distinctes : d’une part la Vieille Ville, groupée autour du palais ducal, et d’autre part, la Ville Neuve construite au sud des fortifications par le duc Charles III, au XVIe siècle. Au milieu, un terrain vague bordé de quelques modestes maisons. Stanislas décide d’aménager cet espace laissé à l’abandon. Le prétexte est tout trouvé. Ayant appris que Bouchardon allait donner à Paris une statue de Louis XV, il juge nécessaire de doter également sa capitale d’une effigie royale dans un cadre digne d’elle. Sa fille Marie Leszczynska n’est-elle pas reine de France ?

La chose est joliment présentée au maréchal de Belle-Isle, lieutenant-général des Duchés de Lorraine et de Bar :

« Les désirs (…) de laisser quelques souvenirs après moi dans le pays où la providence m’a placé et en même temps un monument de ma tendresse pour le Roi m’a fait concevoir une idée (…) c’est une place de Nancy où j’érige une statue du roi » (7 janvier 1752).

Le projet présente un double intérêt : d’abord le goût de Stanislas ne s’épanouirait ainsi non plus à son seul profit mais en faveur d’une ville qui regrette ouvertement ses anciens ducs dont rien n’avait compensé le départ. Mais surtout l’œuvre deviendra symbole : la Lorraine acceptant son nouveau maître pourrait enfin regarder définitivement vers la France.

 

 

Le roi fantasque se jette à corps perdu et avec une opiniâtreté farouche dans son projet. Un travail titanesque qui ne va pas sans quelques difficultés. Le lieu choisi, l’espace inorganisé qui s’étend en avant de la Porte Royale et des fossés, dans la tenaille des bastions de Vaudémont et d’Haussonville, présente un inconvénient majeur. Nancy doit rester une place forte, ce n’est pas discutable. Pas question donc de détruire les remparts, certes peu entretenus depuis 1744, mais qui peuvent se révéler efficaces. Stanislas trouve la solution, acceptée par Versailles : les ouvrages militaires seront cachés derrière les fontaines et balustrades (engagement non respecté, les deux tiers du bastion d’Haussonville seront détruits). Le 18 mars 1752, la première pierre est officiellement posée.

 

L’œuvre d’Emmanuel Héré

La place, « une des places rococos les plus jolies les plus gaies et les plus complètes que j’ai vues », dira Victor Hugo (Le Rhin), est solennellement inaugurée le 26 novembre 1755. Elle a été imaginée par Emmanuel Héré, directeur des bâtiments de la cour et élève de Boffrand. L’ensemble constitue un rectangle à pans coupés de 124 mètres sur 106, d’une harmonie parfaite dans son ordonnancement et son décor. Sept pavillons le bordent. Le plus important, le plus solennel est celui de l’hôtel de ville qui ferme tout un côté. En face, s’étendent deux autres bâtiments, simples rez-de-chaussée, « basses faces » qu’il faut imaginer sans les mansardes ajoutées aux terrasses. Cette disposition, voulue pour des raisons militaires (il fallait éviter qu’un écran s’établit devant le rempart et les embrasures des canons), élargit l’espace tout en lui conférant un merveilleux équilibre.

 

 

Les quatre immeubles qui se font vis-à-vis, sur les flancs, groupés deux à deux, ont la même hauteur. Identiquement parfaits, ils donnent à la place une unité sans monotonie. L’époque n’est plus aux fantaisies de la rocaille, on revient à l’antique. Les façades, d’un beau style classique, arborent d’élégants balcons ouvragés. L’ornement n’intervient guère que pour ponctuer d’un discret relief le sommet de chacune des ouvertures. Au-dessus de l’horizontal des corniches, un esprit différent libère un décor de vases et de trophées près desquels jouent des enfants. L’enfance adoucit l’expression trop appuyée de la gloire qui accompagne le souverain triomphant. Tout s’allège et s’agite ici, amuse le regard et tempère la rigueur des lieux.

De fer forgé, rehaussé d’or, les grilles délicatement façonnées par Jean Lamour, achèvent le décor grandiose de la place. Elles encadrent notamment les deux magnifiques fontaines de Barthélemy Guibal sur le thème de Neptune et Amphitrite. Vers le nord, en arrière-plan, un arc de triomphe à l’antique surmonté de bronzes, est élevé à la gloire de Louis XV. Il donne accès à la place de la Carrière, autre chef-d’œuvre de l’architecte de Stanislas.