Deux retraités toujours vaillants, aux commandes d’une fabrique de madeleines niortaise, c’est le projet malin qui s’est lancé à Coulon, dans le Marais poitevin. Une entreprise qui a du goût et du sens.

Coulon, au cœur du Marais poitevin. La Sèvre niortaise s’y écoule paisiblement, quelques touristes tranquilles en descendent les rues, boutiques et paysages charmants agrémentent ce coquet lieu de villégiature. Un endroit idéal pour un aspirant retraité qui peut enfin souffler. Cela aurait pu être le petit havre de paix de deux papys niortais, Christian Baudoin et Guy Talbot, fringants jeunes hommes de 68 et 71 ans. Deux têtes chenues, qui ont eu leur lot d’expériences variées : Christian, entrepreneur maroquinier, a parcouru l’Asie une partie de sa vie et a fondé Laurige, Guy est l’ancien directeur des Campus des métiers. Ils se connaissent depuis vingt ans.

 

Toujours debout

Fatigués par ces longues années de travail ? À peine. « Toujours debout ! », c’est un peu leur leitmotiv. À l’âge où de nombreux retraités s’occupent de garder leurs petits-enfants, de préparer du chocolat chaud avant de s’asseoir devant « Questions pour un champion », Christian Baudoin et Guy Talbot ont lancé une entreprise. Peur de l’ennui ? Besoin d’un peu d’adrénaline ? Gourmandise pour la vie ou pour les madeleines ? Probablement une cuillérée de tous ces ingrédients. Le tout recouvert d’une belle tranche d’amitié. « Et puis, j’ai longtemps accompagné toutes les entreprises artisanales du département, à partir du moment où elles avaient des apprentis, relate Guy. Il me manquait une chose : en créer une. »

 

©E. Dessevre

Depuis trois ans, Christian et Guy ne pensent qu’à leurs biscuits, et pas n’importe lesquels. Ces deux “papys gâteaux” fabriquent un seul produit : des madeleines. « Ça faisait quarante ans que je voulais faire des madeleines, avoue Christian Baudoin, et je n’arrivais pas à trouver la madeleine que j’avais envie de manger. Alors on l’a faite, avec Guy. » Attention, c’est du sérieux, pas d’approximation chez eux : s’il s’agit d’un projet de retraite, ils n’ont aucune intention de faire cela par-dessus la jambe. Rien n’est laissé au hasard : « On a préparé notre coup pendant un an, en concevant la recette petit à petit. Avant de trouver, on en a fait des madeleines : plates, brûlées, sans goût, trop dures, trop sucrées, etc. », confient nos deux interlocuteurs.

La localité en étendard

Après de nombreuses recherches et autant d’essais, qui leur ont fait risquer l’embonpoint, ils ont fini par trouver la bonne recette avec les bons ingrédients, tous locaux : le beurre d’Echiré tout proche, les œufs du village du Bourdet, à moins de dix kilomètres, la farine de Saint Maixent, et l’angélique, cultivée en petite quantité. Même l’infographiste qui a créé leur logo est de Niort ! Maintenant installés dans des locaux adaptés, équipés de matériel professionnel, ils maitrisent la technique : les madeleines des papys gâteaux flattent les papilles des gourmands avec leur texture légère, un léger parfum de citron, un goût généreux.

 

©P. Montagne

 

Cette fameuse madeleine à la recette en apparence si simple fut semble-t-il inventée en 1755. Selon la légende, après qu’un conflit entre l’intendant et le cuisinier du duc Stanislas Leszczynski, qui donnait une réception en son château de Commercy, eut laissé les cuisines sans chef, une servante du nom de Madeleine Paulmier proposa la recette de gâteaux de sa grand-mère pour sauver la soirée. À l’époque moulé dans une coquille Saint-Jacques, le biscuit, par son aspect, par son goût, connut un triomphe. Gentleman, le duc Stanislas rendit hommage à l’inventrice en donnant son prénom à sa douce création. Depuis lors, la madeleine s’est répandue sur les tables des goûters enfantins, traversant également les frontières, puisque l’on en trouve également en Espagne.

 

©P. Montagne

 

« Ce n’est pas aux vieux singes qu’on apprend à faire un business plan », disait à peu près le dicton. En dehors de cette madeleine, que l’auteur de ces lignes a consciencieusement goûtée pour en vérifier les indéniables qualités, les deux papys ont bien compris le potentiel de leur projet : jouer la carte du local, des ingrédients à la production, avec une exigence de qualité maximum. Malins, ils n’ont pas tardé à déposer la marque « les papys gâteaux », un nom percutant pour un commerce qui démarre sur les chapeaux de roue. Les madeleines papys gâteau ont tout de suite rencontré le succès. Packaging arborant leurs caricatures, sachet transparent contenant sept madeleines pour les sept jours de la semaine, atelier de production ouvert aux visiteurs : Christian et Guy ont le savoir-faire et le faire savoir !

Des madeleines, mais pas seulement

Mais si l’affaire est dans le sac, du point de vue du modèle économique, il ne s’agit pas pour eux d’entrer en bourse et de désemplir celles de leurs visiteurs. En effet, en premier lieu, les papys gâteaux souhaitent pratiquer des prix raisonnables, de 4,50 € le sachet de madeleines nature à 5,50 € pour celles aromatisées à l’angélique, plante endémique dans la région, bien connue des amateurs de Chartreuse. Mais par-dessus tout, ils tiennent à la mission sociale de l’entreprise : faire sortir les gens, et en particulier les retraités, de chez eux. « On ne recrute pas à moins de 65 ans », plaisante Christian Baudoin. Animer la vie des anciens, mais aussi aider des personnes beaucoup plus jeunes qui sont au creux de la vague, c’est la véritable mission de Christian et Guy.

 

©P. Montagne

 

C’est ainsi que les papys gâteaux voient passer ceux qui ont besoin de remettre le pied à l’étrier, de redonner du sens à leur quotidien, et accueillent septua, octo et nonagénaires en mal d’activité, le tout à un rythme loin de Charlie Chaplin dans Les temps modernes, puisque les papys gâteaux ne travaillent que deux à trois jours par semaine. Une mission que pourrait très bien remplir une association. Si nos Deux-Sévriens ont opté pour l’entrepreneuriat, c’est parce qu’il permet de fixer des objectifs, du sens, avec un compte de résultat qui jauge l’efficacité du projet. Une façon de concrétiser une idée, en évitant les querelles de clocher. Revers de la médaille, le succès se fait jour et Christian confesse qu’il a « l’impression de bosser plus qu’avant la retraite ». Concession supplémentaire qu’il a fallu négocier : il a repoussé ses vacances d’été pour se consacrer pleinement à sa gourmandise de vivre.

Passer le relais

À n’en pas douter, les deux papys gâteaux ont réussi les noces du plaisir et du commerce. En à peine trois ans d’existence, ces deux récidivistes du business ont fait lever leur petite affaire aussi bien que leur madeleine. Mais le projet n’a jamais été de produire des biscuits ad libitum. Plutôt de trouver une suite élégante à cette aventure. Ce qui signifie envisager l’avenir… Christian et Guy voient à l’horizon de leur retraite sans cesse repoussée deux suites possibles : soit multiplier le modèle, recruter de nouveaux collaborateurs, développant ainsi encore plus la dimension sociale vers les retraités souhaitant tromper leur ennui, la production restant inféodée au bien-être de pâtissiers aux cheveux argentés ; soit, comme tout papy qui se respecte, assurer une descendance entrepreneuriale, en proposant clé en main leur modèle simple, rentable et bien huilé à un jeune couple ayant le sens du commerce et du travail.

 

©P. Montagne

 

C’est peut-être cela, le secret de leur recette : ne pas être pressés par le temps comme on l’est à vingt ans, avoir l’ambition de produire autant de bien-être que de madeleines, préférer bien faire qu’augmenter le chiffre d’affaires. Penser une entreprise avant de la monter, pour créer du sens… Qui a dit que le monde de l’entreprise n’avait plus besoin des seniors ?