À la tête de la fromagerie « La Finarde », Virginie Dubois-Dhorne, 47 ans, chouchoute chaque année des milliers de fromages, affinés en caves jusqu’à leur apogée. « Un fromager-affineur n’est pas un producteur de fromages. Notre travail, c’est de les acheter jeunes et de les faire vieillir. Apporter du soin au fromage pour qu’il devienne meilleur. Dans cette cave par exemple, on a des mimolettes au lait cru. Je les prends à moins de 2 mois et je les affine jusqu’à 18 mois. » Et quelle cave ! En 2015, « La Finarde » a quitté les Boves d’Arras pour s’installer dans un ancien hangar à ballons au cœur de la citadelle. La fromagerie possède 5 caves d’affinage parmi lesquelles une ancienne poudrière du XVIIe siècle. Un environnement insolite propice au vieillissement des fromages : « Ici, il y a une température quasi constante de 14-15° C et 94 % d’humidité naturelle. Il a fallu installer des planches en épicéa et les ensemencer avec des spores de champignons pour créer une ambiance de caves, puis nous avons fait un test avec des mimolettes : les conditions étaient idéales ! »

Vendus sur les marchés, aux halles de Wazemmes à Lille, ainsi qu’à des revendeurs de Rungis, les fromages de « La Finarde » viennent de toute la France, mais également d’Europe, avec une spécialisation pour les fromages du Nord : « On affine tous les fromages locaux, comme le Maroilles, le Vieux-Lille, le Boulet de Cassel, les Briques de Flandres, l’Écume de Wimereux… On fait également venir des goudas et des mimolettes des Pays-Bas. Les arômes de cette cave et notre façon de travailler leur donnent un goût unique. » Une typicité largement revendiquée par l’Arrageoise, attentive au bien-être animal : « On est sensible au travail de l’éleveur. À l’évolution d’un fromage, on va savoir si l’animal a été bien nourri, a donné un bon lait. Si les animaux vont bien, je suis certaine de pouvoir pousser l’affinage du fromage. Les clients viennent chercher chez nous ce fromage atypique, travaillé, poussé. Avec des goûts de fruits, de champignons, de sous-bois… » Et si elle évoque aujourd’hui ses produits avec passion, ce n’est pas au métier de fromagère qu’elle se destinait… mais à celui de professeure d’allemand !

Virginie est doctorante lorsqu’elle rencontre son futur mari, lui-même étudiant à Science Po. Peu après, Jean-François Dubois monte une entreprise pour vendre des fromages sur les marchés, dans les pas de sa mère, qui faisait les tournées de villages en villages avec un camion-épicerie. Une première fromagerie verra le jour au Touquet. Virginie se charge alors de la caisse pour « donner un coup de main ». « J’avais une aversion pour le fromage à cette époque-là. L’odeur, le froid… ». Quatre enfants plus tard, Virginie met de côté ses études pour se consacrer pleinement à l’entreprise. Si le coup de foudre n’est pas immédiat, la fromagère va peu à peu se démarquer en développant un aspect plus artistique de la profession : « Acheter et vendre du fromage, ce n’est pas mon truc, mais travailler le fromage, c’est quelque chose qui me plaît. Je me considère comme fromagère-affineuse, mais je préfère le terme créatrice fromagère, parce que ce que j’aime, c’est réaliser des plateaux et des créations culinaires autour du fromage. Je dis toujours que je prends mon diamant et que je le mets dans un écrin. »

En 2016, Virginie participe à son premier concours, « La Lyre d’Or », qui récompense le plus beau plateau de fromage : elle y gagne la médaille d’or. Viendra ensuite le Concours du Fontainebleau pour lequel elle obtiendra également la récompense suprême. En 2019, elle se présente au Concours mondial du meilleur fromager et finit deuxième. Deux ans plus tard, elle retente sa chance et sera cette fois sacrée meilleure fromagère du monde. « J’ai voulu participer à ces concours parce j’ai toujours travaillé dans l’ombre. J’ai eu besoin d’une reconnaissance des gens du métier et de me dire que j’apportais quelque chose à la profession. Mon mari est fromager depuis longtemps et c’est un véritable puits de science sur la technologie d’affinage. J’ai toujours été « la femme de… ». En 2021, Monsieur est devenu le mari de Madame ! Le fait d’être valorisée m’a donné une assise, dans ma vie professionnelle et personnelle. » Reconnue par ses pairs, Virginie est également la première femme française à obtenir ce titre.

« La présence des femmes, c’est une question que je me pose à chaque concours. En 2019, il y avait 2 femmes sur 14 participants. En 2021, 3 sur 12. 3 sur 16 en 2023… Je dirais que c’est peut-être parce que les concours demandent du temps. Pouvoir dire que je fais tourner mon entreprise, mon foyer, avec 4 enfants, et que je gagne des concours, c’est une vraie reconnaissance. Et puis ça a donné envie à d’autres femmes de se lancer. » À la fierté du titre s’ajoute également celle de sa région, qu’elle a à cœur de mettre en avant dans chaque concours : « On a la chance chez nous d’avoir de tout : chèvres, brebis, vaches… Pâte pressée non cuite, pâte molle à croûte fleurie, à croûte lavée… Un fromage raconte la filière fromagère, le terroir, les bêtes et toute l’histoire de la région. La mimolette a un lien fort avec la citadelle d’Arras, le Bergues défend la vache rouge flamande en voie d’extinction, le Pavé de Calais, avec sa couleur orangée, raconte les briques de chez nous… » Si Virginie n’envisage pas d’autres concours pour le moment – il n’existe d’ailleurs pas de récompense plus haute aujourd’hui – la passion reste intacte pour notre fromagère d’exception qui conclue : « Avec ce titre, c’est la région qui a été mise avant, mais aussi la femme et la Française. J’en suis très fière. »
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Le Concours Mondial du Meilleur Fromager
Le Concours Mondial du Meilleur Fromager a lieu tous les 2 ans à Tours. Huit épreuves sont au programme de cette journée marathon : « Il y a d’abord un QCM pour tester nos connaissances sur les AOP, IGP, Label Rouge… puis une dégustation à l’aveugle lors de laquelle il faut reconnaître un fromage. Ensuite, il y a une épreuve de découpe : on doit découper un fromage pour qu’il fasse 250g. Vient ensuite un oral face à un jury mondial lors duquel on doit défendre un produit coup de cœur. J’ai choisi le Bergues – je suis assez chauvine ! – un fermier lait cru, pauvre en matière grasse, produit avec une vache rouge flamande en voie d’extinction. Puis nous devons présenter une assiette de fromages comme au restaurant. Pour l’épreuve de l’association fromagère, on nous donne un fromage et on doit trouver un ingrédient qui va le sublimer. Pour finir, il y a une préparation fromagère froide à réaliser, un plateau de fromage d’1m sur 1m à composer en fonction d’un thème donné et enfin une épreuve de sculpture.
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