« La Touraine m’avait si bien ravitaillé que jeudi, vendredi, samedi et dimanche, j’ai conçu Les Illusions perdues, et j’en ai écrit les quarante premiers feuillets. » C’est ainsi que Balzac décrit, dans une lettre à Émile Regnault, les bienfaits de l’un de ses nombreux séjours au château de Saché. Né à Tours en 1799, le plus célèbre des auteurs tourangeaux gardera toute sa vie un attachement particulier à sa région natale, au point de s’en nourrir pour alimenter ses romans.

Le chantre de la Comédie Humaine

Honoré Balzac est né à Tours, le 20 mai 1799, rue Nationale. Son père, Bernard-François Balzac, d’origine paysanne, connaît bientôt une forte ascension sociale qui le conduit, en 1802, à faire accoler une particule au nom « Balzac ». Très tôt, le jeune Honoré, aîné de quatre enfants, démontre un intérêt certain pour la lecture, « une espèce de faim que rien ne pouvait assouvir ». En 1814, la famille déménage à Paris et s’installe dans le quartier du Marais. Balzac s’inscrit en droit, suit des cours à la Sorbonne et s’intéresse à la philosophie. Très jeune, il écrit ses premiers romans et s’essaye à la tragédie. Les débuts sont difficiles. Il faut attendre 1829 et Le dernier Chouan, un roman politico-militaire, pour que l’auteur rencontre son premier succès.

Dès lors, Balzac va se consacrer à ce qui deviendra l’œuvre de sa vie : La Comédie humaine. Haut en couleurs, bourreau de travail, le romancier devenu célèbre écume les salons parisiens et s’intéresse à l’Homme et à la société, qu’il s’emploie à décrire dans ses « études philosophiques », avec beaucoup de détails et de réalisme. En 1831, il publie La Peau de chagrin, livre bientôt suivi d’Eugénie Grandet en 1833. Son talent s’exporte au-delà des frontières. C’est ainsi qu’il fera la rencontre qui va marquer sa vie, Mme Hanska, une comtesse polonaise mariée qui va devenir sa maîtresse. Le succès de Balzac est fulgurant et sa maîtrise littéraire est reconnue et recherchée : les publications s’enchaînent alors à un rythme effréné.

Peu à peu, les ouvrages de Balzac forment une étude des mœurs de son temps. Avec la parution du Père Goriot en 1834, la construction de son chef-d’œuvre se précise. En 1841, il signe un contrat pour la publication de ses romans, réunis sous le titre définitif de La Comédie humaine, en référence à la Divine Comédie de Dante. Épuisé par le rythme qu’il s’impose, en panne d’inspiration et bientôt ruiné par quelques entreprises malheureuses, Balzac voit ses forces le quitter peu à peu. En septembre 1848, il commence à ressentir les premiers symptômes d’une grave maladie du cœur. Déterminé à épouser Mme Hanska, désormais veuve, il se rend en Ukraine où son mariage est célébré en mai 1850. De retour à Paris, il décède dans son hôtel particulier de la rue Fortunée le 18 août.

 

Saché, le refuge

Tout au long de sa vie, Balzac va très souvent trouver refuge dans sa Touraine natale, plus précisément à Saché, près d’Azay-le-Rideau. Dès 1825, l’auteur rend régulièrement visite à Jean et Anne Margonne, des amis de ses parents, qui possèdent un château Renaissance au cœur de la vallée de l’Indre. Là, le couple lui réserve une petite chambre au deuxième étage, qui deviendra tout à la fois lieu de repos, lieu de travail et lieu d’inspiration.

À Saché, Balzac est en convalescence. Il se remet de sa vie parisienne trépidante, joue au whist ou au tric-trac avec Jean Margonne, se promène dans le parc et les bois alentours et profite du bon air recommandé par son médecin de famille, le docteur Nacquart, pour soigner ses problèmes pulmonaires. Dans la sobriété de sa petite chambre, où il se sent comme « un moine dans un monastère », Balzac rédige le manuscrit du Père Goriot, corrige des épreuves de César Birotteau et écrit la première partie des Illusions perdues (1837).

Lors de ses séjours, Balzac rend également visite aux châtelains des environs. C’est ainsi qu’il s’inspire des châteaux alentour pour imaginer ceux de son roman Le Lys dans la vallée, paru en 1835. À la fin de l’ouvrage, il évoque le château de Saché et fait séjourner son héros, Félix de Vandenesse, dans une petite chambre « dont les fenêtres donnent sur ce vallon tranquille et solitaire […] bordé par des chênes deux fois centenaires, et où par les grandes pluies coule un torrent ».

Aujourd’hui propriété du Conseil départemental d’Indre-et-Loire, le château de Saché est meublé et décoré à la manière d’une demeure bourgeoise du XIXe siècle. Recréer l’atmosphère du quotidien de Balzac pour mieux en cerner la vie et l’œuvre, c’est l’objectif de ce musée qui donne à voir et à expérimenter. Grâce aux nombreuses visites commentées, aux ateliers de presse typographique, d’écriture et de modelage, aux activités de médiation sur le thème de la nature ou tout simplement en profitant du magnifique parc arboré et fleuri qui entoure le château, le visiteur est convié à un moment de détente propice à la création, cher à celui qui déclara dans Le Lys dans la vallée : « Sans la Touraine, peut-être ne vivrais-je plus. »

 

Bernard-Paul Métadier et la création du musée

« Je voudrais redonner à cette vieille demeure tout l’attrait qu’elle mérite en y créant un musée. Sans doute existe-t-il d’autres musées balzaciens ; mais Saché aurait le charme particulier d’un cadre essentiellement romantique, qui est resté tel qu’il était il y a un siècle. Les vieilles pierres de cette maison sont encore si imprégnées par l’esprit du géant des lettres qu’il y a bien peu de chose à faire au point de vue matériel pour redonner à Saché cette atmosphère émouvante que connaissent déjà de nombreux Tourangeaux. »

C’est en ces termes que Paul Métadier évoque, en 1943, la création d’un musée consacré à Balzac dans le château de Saché. Propriétaire du site depuis 1926, Paul Métadier ambitionne alors de rénover le lieu et d’en faire une résidence d’écrivains. C’est son fils, Bernard-Paul (1918-2021), homme de sciences, de médecine et de lettres bien connu des tourangeaux, qui lui suggère plus tard d’en faire un musée consacré à Balzac.

En 1942, le château de Saché est classé au titre des Monuments Nationaux alors même qu’il est occupé épisodiquement par les troupes allemandes. Il faut attendre 1951 pour que le musée voie le jour. Seules quelques pièces sont alors ouvertes au public, notamment les salles de réception et la chambre de Balzac, conservées telles que l’auteur les avait connues. En 1958, la famille Métadier fait don du château au Conseil départemental d’Indre-et-Loire, qui en est toujours le propriétaire à ce jour. Bernard-Paul Métadier, plus connu sous le nom de Paul, est alors nommé conservateur du musée et le restera jusqu’en 2001. Au fil des années, le site est réaménagé, rénové, sécurisé et de nouveaux espaces sont aménagés pour le public, tout en conservant l’identité Balzacienne du lieu.

 

Recréer l’atmosphère du quotidien de Balzac

Visiter le musée Balzac, c’est plonger au cœur du XIXe siècle et comprendre à chaque pas, dans chaque pièce, dans toutes les allées du parc, la grande affection du romancier pour ce lieu. C’est avec cette même émotion que l’on découvre le salon, aux impressionnants papiers peints, dans lequel Balzac jouait au whist (jeu de cartes) et au tric-trac (jeu de dés) avec Jean Margonne, ou encore l’intimité de sa chambre au second étage qui offre une vue imprenable sur le domaine.

À côté de ces pièces de vie qui donnent à voir le quotidien de l’auteur, on découvre des restitutions d’intérieurs de La Comédie humaine (comme la chambre de l’abbé Birotteau dans Le Curé de Tours ou le boudoir de Foedora dans La Peau de chagrin), ainsi qu’une fabuleuse collection de plus de 2 300 pièces (sculptures, peintures, imprimés, manuscrits, estampes, dessins, photographies, matériel d’imprimerie, mobilier) constituée par la famille Métadier et enrichie par les acquisitions du Conseil départemental d’Indre-et-Loire. Pour compléter ses connaissances, le visiteur peut découvrir au rez-de-chaussée un atelier d’imprimerie du XIXe siècle, reconstitué pour évoquer le métier d’imprimeur exercé par Balzac de 1826 à 1828, ainsi qu’une exposition permanente sur les sculptures réalisées en hommage à l’auteur.