Le saviez-vous ? En poitevin, une rantelle, c’est une toile d’araignée. Un terme hérité du bas latin, comme l’aigail, la rosée. Arroyer signifie rassembler et vient de arroi, utilisé jusqu’au XVe siècle dans le lexique militaire. « J’aime bien l’expression rabat-l’égail, qui désigne quelqu’un qui marche avec les pieds en 10 h 10… », s’amuse Yannick Jaulin.
Du poitevin-saintongeais, il en a plein sa besace et peut vous raconter l’histoire de ce parlé, cette parlanjhe longtemps influencée par l’occitan, qu’il a apprise avant même le français. Mais l’érudition linguistique, pour jouissive qu’elle soit, n’est pas une fin en soi pour ce natif d’Aubigny, en Vendée, issu d’une famille de paysans, et qui fit, dans son enfance, « plus de tracteur que de vélo ». Pour lui, cette langue, c’est un mode de résistance, « un outil d’émancipation culturelle ». « La langue impose un type de relation sociale », explique-t-il. « Quand j’ai commencé comme conteur professionnel, parler patois, c’était un handicap. Les mots en patois étaient presque des gros mots pour une certaine élite culturelle. » Difficile à admettre pour celui qui écuma le Poitou dès son adolescence, au guidon de sa Flandria 50 cc, pour y récolter des mots et des histoires qui nourrissent ses spectacles depuis plus de trente ans.
Poitou-Etats-Unis-Afrique… et retour
C’est d’abord au sein de l’amicale laïque d’Aubigny, membre de l’Union pour la Culture populaire en Poitou-Charentes (UPCP), qu’il tâte des planches, tout en faisant du rock en patois au sein du groupe Jan Do Fiao. À la même époque, il élargit son rayon d’action, passant du Poitou aux Etats-Unis, qu’il parcourt en stop d’est en ouest, pendant deux mois. Puis il part en Afrique, où il vend des voitures et goûte à des herbes locales, du genre prohibé. Bizarrement, « c’est là que j’ai écrit mes premières chansons en patois. Cet éloignement m’a fait prendre conscience de l’importance des racines », confie-t-il. Après un séjour en Irlande et un autre dans le Vercors, plus tard, il suit une formation d’agent de développement en milieu rural. Animateur cantonal dans le Marais poitevin, il décide, en 1985, de devenir professionnel du spectacle. « La première année, j’ai fait 170 représentations. » À la longue, il se construit une « petite réputation » dans la région. À Pougne-Hérisson, dans les Deux-Sèvres, où il donne un jour un spectacle, on apprécie sa verve saintongeaise et sa poésie, au point que les habitants élaborent avec lui un projet peu commun.
Le « trou du cul du monde » devient son nombril
En 1988, quelque part dans cette gâtine, entre Neuvy-Bouin et Saint-Aubin-le-Cloud, un événement mondial a lieu, dont le monde ne se doute pas encore. Pougne-Hérisson devient son nombril. « C’est parti d’une boutade, mais à l’inauguration, il y avait mille personnes ! », se souvient Yannick. Puis, « comme je considère qu’un artiste n’est pas au-dessus des gens – et encore moins un dieu –, et qu’il fallait créer une manifestation culturelle pérenne, au milieu des gens », un festival naît deux ans après. « J’ai pu ramener des financements grâce à mon producteur, Olivier Poubelle, précise Yannick, et nous avons invité des compagnies de théâtre de rue, des chanteurs, des musiciens, des conteurs… Généralement, des artistes assez singuliers. » Depuis, tous les deux ans à la mi-août, pendant trois jours, spectacles, causeries, jeux ou encore siestes obligatoires ravissent le public autant qu’ils le surprennent. Pougne-Hérisson a vu l’organisation d’un spectacle pour les vaches, a été jumelé avec l’étoile polaire, opposé au reste du monde le temps d’un match de foot… Pougne-Hérisson, faute d’atteindre une renommée mondiale, bénéficie d’une audience nationale grâce à des passages télé réguliers.
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Trente ans, trente spectacles
Mais le festival de Pougne-Hérisson n’est qu’une des initiatives, un des projets du prolifique artiste-musicien-conteur. En trente ans, il a écrit une trentaine de spectacles, odes à la culture et au parlé saintongeais, dont il dit autant la difficulté à exister qu’il en démontre la richesse. À ce titre, Ma langue maternelle est en train de mourir et j’ai du mal à vous parler d’amour, écrit en 2018, est sans doute le spectacle le plus emblématique. Quête culturelle émancipatrice, celle de Yannick Jaulin est également spirituelle. Et si cette recherche l’a conduit à un aveuglement douloureux en intégrant pendant sept ans la secte du Temple solaire, qu’il quitta un an avant les événements dramatiques que l’on connaît, il conserve un intérêt, mais d’une tout autre manière, pour « cette matière religieuse, ces légendes qui sont là pour raconter quelque chose du trouble de l’humanité devant le mystère de la vie », avec la tolérance comme profession de foi.
De « je » à « nous »
Si le conteur, on l’aura compris, est attaché à son terroir, il n’a pas pour autant les deux pieds dans la glèbe. Pas question pour lui de muséifier cette langue et cette culture. « Il ne s’agit pas de folklore, dans lequel le monde rural serait confit, explique-t-il. Je m’efforce d’aller du prosaïque vers l’abstrait. » Et du particulier à l’universel. « Il faut garder quelque chose de notre singularité, mais être conscient de la multitude des autres cultures. » D’ailleurs, en poitevin, « i » signifie à la fois « je » et « nous ». On pourra trouver d’autres exemples de cette richesse et de cette poésie sur la chaîne Youtube de Yannick Jaulin, sur Mooc, également sur Youtube, ainsi qu’avec les programmes courts qu’il réalise pour France 3 Nouvelle-Aquitaine, « Kétokolé ». Du poitevin-saintongeais à consommer à luche-ballots.
Chronologie
- 30 juillet 1958 : Yannick Jaulin naît à Aubigny, en Vendée.
- 1985 : Il devient professionnel du spectacle.
- 1990 : Il crée Pougne-Hérisson, Nombril du monde.
- 2009 : Il se produit dans la cour centrale d’Avignon.
- 2020 : Il est nommé aux Molières pour « Ma langue maternelle… ».
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