En 1945, Royan est une ville dévastée par les bombardements. Chargé de sa reconstruction, l’urbaniste Claude Ferret et son équipe vont redéfinir l’architecture de la ville en intégrant des influences modernes. Découvrez comment cette transformation a forgé le caractère unique de Royan.

« Vous voyez, Ferret, vous avez trois ans pour reconstruire cette ville. Si dans trois ans vous n’avez pas terminé, on vous fera fusiller… » C’est avec cette boutade que Raoul Dautry, ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme, a reçu Claude Ferret, professeur et directeur des études de l’école d’architecture de Bordeaux, en 1945. Aux côtés de Georges Vaucheret, architecte et ancien maire de Royan, Claude Ferret est nommé urbaniste en chef, chargé de la reconstruction de la ville au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Un travail de titan qui prendra finalement près de 20 ans et qui offrira à cette ville meurtrie un tout nouveau visage. Zoom sur Royan et son style architectural unique.

Le 5 janvier 1945, les alliés lancent un raid aérien sur Royan, transformée en forteresse par les Allemands. La ville est alors située au cœur d’un dispositif qui s’étend de part et d’autre de l’embouchure de la Gironde et qui constitue l’une des dernières poches de résistance du IIIe Reich en France. Le 14 avril, les Américains frappent à leur tour et utilisent pour la première fois des bombes au napalm. Détruite à 95%, la station balnéaire compte alors près de 500 victimes civiles. Il ne reste alors pratiquement plus rien du charme cossu des villas du début du siècle.

La renaissance architecturale

Quelques mois plus tard, Ferret et Vaucheret s’attèlent à la renaissance architecturale de la ville. Mais la Guerre a laissé des traces. Alors que le ministre Dautry donnait 3 ans à l’urbaniste en chef pour reconstruire Royan, c’est à peu près le temps qu’il faudra pour dégager les décombres et enlever les débris. Pendant plusieurs années, les habitants vivent dans des abris de fortunes, des tentes et des baraques sur la plage, ornées d’un drapeau vert, couleur d’espoir. Particulièrement meurtrie, la ville devra subir des campagnes de démoustication, de dératisation et de déminage avant d’entamer sa mue.

En 1947, le ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme alloue la somme de 54 millions de Francs à la Ville de Royan pour entamer des travaux d’aménagement. Les urbanistes, aidés de nombreux architectes, se mettent à l’œuvre et conçoivent des plans qui reposent sur deux axes : le front de mer qui épouse la courbe de la conche de Royan et une artère principale perpendiculaire à la mer, le boulevard Briand, qui coupe la ville en deux. En 1948, les premières constructions sortent de terre sur ce même boulevard. Le style architectural de la région de Saintes est alors adopté par Ferret : des lignes sobres, de la pierre calcaire, des tuiles canal, de fines moulures charentaises.

 

L’influence brésilienne et l’émergence d’un style unique

Mais la parution d’un numéro du magazine l’Architecture d’Aujourd’hui consacré au Brésil va bouleverser les projets des urbanistes royannais. Les architectes brésiliens Oscar Niemeyer et Lucio Costa, influencés eux-mêmes par la visite du français Le Corbusier à Rio en 1936, y dévoilent des bâtiments modernes et colorés, construits avec la technique du « voile de béton ». C’est une révélation ! Dès lors, les quartiers du centre et du front de mer subissent largement cette influence brésilienne, à laquelle on adjoint le style classique art déco de l’époque et traditionnel charentais.

C’est ainsi que l’architecture unique de Royan était née. Aux courbes façon coquillage du marché central, on oppose les lignes verticales massives de l’église Notre-Dame. Partout, le blanc pur côtoie les couleurs primaires qui égayent les claustras et autres brise-soleils. Le béton, l’aluminium et le verre s’harmonisent pour créer des villas aux silhouettes légères, presque transparentes, qui offrent des habitations lumineuses, ouvertes, aux larges volumes. Mélange de styles et d’influences diverses, la reconstruction de Royan mobilisera 82 architectes, transformant ainsi la ville en un « laboratoire d’urbanisme et d’architecture modernes ».

 

Une reconnaissance retardée

Plutôt controversé dans les années 80, il aura fallu de nombreuses années aux royannais pour adopter ce style géométrique et minimaliste. Aujourd’hui, l’architecture bétonnée d’après-guerre, plutôt gaie et singulière, a figé la ville dans une ambiance « fifties » qui fait de Royan un véritable musée à ciel ouvert. Classée « Ville d’Art et d’Histoire » en 2010, la cité balnéaire compte pas moins de cinq édifices publics labellisés « Patrimoine du XXe siècle » (l’église Notre-Dame, le Centre Protestant, le Palais des Congrès, le Marché Central et la Galerie Louis Simon (ancienne gare routière). Une reconnaissance pour Royan et son architecture d’avant-garde qui ne cesse d’attirer et de surprendre.