Funeste aurait pu être le destin des Parapluies François, un des cinq derniers fabricants de “pépins” français, qui a survécu à toutes les avanies. Sur 400 fabricants hexagonaux en 1900, 50 dans les années 1960, presque tous ont aujourd’hui disparu. À contre-courant de ce monde, la famille François, ancrée dans une petite boutique de Poitiers, fabrique des parapluies durables depuis cinq générations.
Les François sont au parapluie ce que les Hermès sont à la maroquinerie : c’est une famille, un héritage, des valeurs. Le sens de la famille, le respect du client, les prix (très) raisonnables et l’amour du travail bien fait guident quotidiennement ces passionnés.
Du beau, du bien
Depuis 1882, dans cette petite bâtisse qui tient lieu de boutique, d’atelier et de maison d’habitation, chaque membre de la famille François se lève pour fabriquer et vendre des parapluies. Mais pas n’importe comment.
Un parapluie, c’est, en trois mots : des baleines, une toile, un mât (“le manche”). Il vous protège du vent, de la pluie, quelquefois du soleil – c’est alors une ombrelle. Mais si ces trois mots unissent les “riflards” chinois à deux euros et les nobles objets des frères François, c’est bien tout ce qu’ils ont en commun. Car à Poitiers, on ne plaisante pas avec la qualité. Quand les productions asiatiques se retournent au premier coup de vent, les parapluies François peuvent durer quarante ans ! Ici, pas de droit de cité pour l’obsolescence programmée.
Depuis toujours, c’est une production en circuit court : quelques pas seulement séparent la manufacture de la boutique. Posez vos yeux sur cet atelier de quelques mètres carrés, et vous pourrez y lire l’histoire des cinq générations de François : des patrons en carton, une perceuse à main des années 20, des machines à coudre des années 60, quelques-unes plus modernes qui viennent accompagner l’outil le plus précieux, la main du professionnel. Si les processus évoluent petit à petit, la qualité et le geste précis priment sur tout autre considération. Parce que ce n’est pas n’importe quel “pébroque” que l’on construit ici. Ce que l’on fabrique est fait pour durer, pour résister à la pluie, au vent et aux années.
Fabrication, réparation… et restauration
D’abord, on façonne un très solide mât de hêtre, colonne vertébrale de l’objet, pour qu’il puisse recevoir un coulant (qui glisse sur le mât lorsque l’on déploie) et la noix, qui maintient les baleines au sommet. Suivent alors la fixation des baleines, en bois de bouleau, en métal voire en fibre de carbone, quasi indestructibles. Le squelette construit, la toile est découpée, puis cousue et fixée par des “aiguillettes” aux baleines. Quelques derniers détails esthétiques, et le parapluie tout juste né rejoint quelques dizaines d’autres dans les rayons colorés de la boutique. 140 ans d’expérience et une chorégraphie millimétrée pour produire chaque jour quelques dizaines de pépins, tous faits à la main.
Mais quelquefois, les éléments sont plus forts. Une aiguillette arrachée, des baleines rouillées, un mécanisme grippé… L’atelier répare tout type et toutes marques de parapluies. Pour quelques euros, vous voilà à nouveau protégé de l’eau.
Parfois, la réparation tourne à la restauration, comme sur cette ombrelle datant de Napoléon III, minutieusement restaurée par l’équipe des parapluies François, qui a pu exprimer tout son savoir-faire et utiliser de précieux stocks de fanons de baleines, d’aiguillettes en os, précieusement conservés depuis des générations.
Des parapluies qui ploient mais ne rompent pas
Il arrive que les éléments n’aient pas été tendres avec les François. À défaut de pluie, c’est un orage économique qui s’est abattu sur la frêle boutique, lorsque les parapluies à bas prix inondèrent le marché dans les années 80, tuant quasiment la profession. Pierre et Louis, qui venaient de reprendre l’activité à leurs parents Léa et Emile, s’en souviennent. Une reprise qui tourna à une décennie de sacerdoce face à la chute du marché, à une époque où le prix primait sur la qualité. Mais coûte que coûte, ils ont tenu les mauvais jours, pour mieux renaître sous le signe de la durabilité, du fait main, de plus en plus apprécié.
« On voulait que ça continue, même si ce n’est pas un patrimoine financier. Il s’agit de valeurs, d’une tradition, d’un patrimoine. Cela aurait été dommage de voir l’œuvre de mes parents et mes grands-parents disparaître », reconnaît Louis, tout attentionné à la fixation d’une toile derrière sa machine à coudre antédiluvienne.
De la tradition à l’innovation
Tout cela, Lylian Lagardère, beau-fils de Pierre, la quarantaine assurée, l’a tout à fait compris. Au début, il donne juste un coup de main à son beau-père, l’été, pour faire de la vente en boutique. Et comme ses aînés, il devient petit à petit un amoureux de l’artisanat, se prend de passion pour le métier :
« Je ne me disais pas du tout que j’allais reprendre la suite. Mais petit à petit, je me suis découvert des compétences de gérance, l’envie de remettre au goût du jour une vieille entreprise. Et aujourd’hui, je suis là où je dois être, je suis fait pour ça. »
Pierre et Louis lui ont cédé la gérance en 2021, confiants et conscients de la nécessité de proroger ce métier si rare.
Aujourd’hui, il mène les destinées des parapluies François dans un subtil mélange d’innovation et de tradition, mettant sa formation d’informaticien à profit pour faire connaître la boutique sur Internet, ouvrant de nouvelles perspectives, faisant doucement évoluer la vénérable maison vers l’avenir.
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Du sur-mesure au surprenant
De François Mitterrand et son parapluie personnalisé, à un chasseur qui demanda un parapluie fixé sur son fusil pour chasser au sec, de mémoire de François, tout a été fabriqué ici, mis à part un parapluie bulgare !
Lilyan souhaite développer cette approche sur-mesure, mais toujours à prix raisonnable : on peut déjà demander des motifs et couleurs spécifiques. Bientôt, vous pourrez faire peindre vos initiales et carrément une œuvre picturale sur la toile du parapluie. Une belle façon de se démarquer, d’affirmer son style.
Car en effet, des esthètes du parapluie il y en a. Quelquefois célèbres, tels Edouard Baer ou Stéphane Bern. Il y a même des accros, comme le journaliste Frédérick Gersal (France 2, Télématin), qui accorde ses très nombreux parapluies à ses nœuds papillon.
Si les clients sont le plus souvent anonymes, tous sont mus par l’envie d’acquérir un objet utile, solide, porteur de sens par ses valeurs autant que par sa durée de vie.
Chronologie :
1873 : Pauline Armentine Chaigne, vendeuse de parapluies, épouse M. François
1882 : création de la fabrique de parapluies et ombrelles
1916-1947 : l’établissement est dirigé par Fernand et Angélina François
1947-1978 : Emile et Léa François sont aux commandes de la maison
1978-2008 : Pierre et Louis François reprennent l’entreprise à la suite de leurs parents
2021 : Lylian prend la gérance