Quelle vue ! Depuis la plate-forme d’artillerie, que l’on connaît sous le nom de Grand Bastion, on peut apercevoir, à condition que le climat s’y prête, les sommets alpins. Et, bien sûr, d’autres sites géographiques plus proches, comme les Vosges ou la Forêt Noire. C’est en fait toute une région, une partie de l’Alsace tout du moins, qui se déploie sous le château du Haut-Koenigsbourg, bâti vers 1147 pour les Hohenstaufen, famille originaire de Souabe qui régna sur le Saint-Empire romain germanique de 1138 à 1254.

©V.Liorit

 

Le château du Haut-Koenigsbourg a été construit à plus de 700 mètres d’altitude, au sommet d’un col, sur un promontoire rocheux constitué en grande partie de grès rose, afin de guetter les allées et venues, déjà nombreuses à l’époque. En effet, les principales routes commerciales de la région se croisaient dans les environs de Sélestat : la route du blé et du vin, entre l’Italie et les Pays-Bas actuels, ainsi que la route du sel et de l’argent, reliant la Lorraine aux régions germaniques situées à l’est du Rhin. Mais au-delà d’un poste d’observation idéal, le château-fort se présentait surtout comme un excellent point de repli stratégique. C’était à n’en pas douter l’une de ses raisons d’être, et elle sera accentuée aux siècles suivants, notamment à partir de 1479, quand les Tierstein, à qui les Habsbourg, propriétaires des lieux, avaient confié leur château détruit en partie en 1462, imagineront un système de défense étudié pour parer les tirs d’artillerie. Sous la férule des seigneurs suivants, l’ancien Castrum Estuphin d’origine, rebaptisé Koenigsburg (ce qui signifie « château royal ») en 1157, passera dans une nouvelle ère : château-fort, certes, mais château-fort moderne !

 

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Assiégé, pillé puis abandonné

Un château-fort, modèle du genre, qui n’a cessé d’être assiégé, pillé. Jusqu’à être abandonné, à l’état de ruines, en 1633, pendant la Guerre de Trente ans (1618-1648) qui mit à feu et à sang une bonne partie de l’Europe, de la Bohême à la Picardie. Il restera à l’abandon durant plus de deux siècles, livré aux ronces et aux mauvaises herbes, au point que personne n’osera plus s’en approcher ! Avant que la ville de Sélestat, propriétaire depuis 1865 de ce prodigieux patrimoine sorti de l’oubli par les historiens, ne l’offre en 1899 au très lointain successeur de Charles Quint, l’empereur allemand Guillaume II qui, ravi de ce cadeau situé à la limite occidentale de son territoire, en confie la restauration à l’architecte Bodo Ebhardt, passionné du moyen-âge et spécialiste des châteaux-forts. Sa mission ? Restaurer, et même reconstruire, le Haut-Koenigsbourg pour en faire la forteresse qu’elle était à son apogée, au XVe siècle.

Vers le renouveau

L’entreprise ne fut pas sans heurts, car de nombreuses voix s’élevèrent contre le projet, notamment à cause du donjon carré. Or, c’était bien sa forme initiale ! Avec ce chantier colossal, qui s’est étendu de 1900 à 1908 et pour lequel les moyens les plus modernes ont été utilisés – notamment une locomotive à vapeur et des grues mécaniques, électrifiées en 1902 grâce à une machine à vapeur transportable ! –, Guillaume II prenait position dans l’Alsace annexée en 1871. En fait, c’est toute la puissance de la dynastie Hohenzollern, conduite par un nostalgique de l’empire à l’ancienne, qui devait par ce biais éblouir l’Europe, terrain, alors, de fortes tensions géopolitiques… qui finiront par éclater. Le Kaiser souhaitait aussi faire de ce lieu un musée à la gloire de l’Alsace germanique et plus généralement de la culture allemande. La Première Guerre mondiale arrêtera son dessein.

 

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Devenu français à la suite du conflit, désormais phare du tourisme local, le Haut-Koenigsbourg demeure un passionnant témoignage historique. Sur la période médiévale, et plus encore sur l’histoire européenne du début du XXe siècle. Mais il est aussi, et cela contribue à l’intérêt qu’il suscite, un modèle de ce qu’était une forteresse de montagne.