Le 2 septembre 909, Guillaume III, duc d’Aquitaine, faisait don du domaine de Cluny, en basse Bourgogne, à Bernon, abbé de Baume. Selon les termes du contrat, le monastère échappait à la loi commune. Devenu abbé en 927, Odon s’appuiera sur ces dispositions pour bâtir le prodigieux édifice d’une congrégation destinée à régénérer l’Église. Sans lui, Cluny serait resté un médiocre monastère. C’est sa chance d’avoir eu à sa tête, dès le départ, des hommes vigoureux et d’une exceptionnelle longévité.

Le monastère fondé par Guillaume fut placé sous la règle de saint Benoît, la seule à l’époque en Occident. Mais les moines délaissèrent les travaux agricoles pour vaquer uniquement à la prière liturgique. Comme la charte de 909 spécifiait que Cluny serait à l’abri de toute puissance séculière ou ecclésiastique, les moines pouvaient élire librement leur abbé et mener leur vie régulière.

 

©tokar / Shutterstock.com

 

Libre vis-à-vis de toutes les puissances, le monastère se rattachait directement à Rome, par-dessus la tête de l’évêque. À l’origine, il ne s’agissait que de garantir la sécurité et la stabilité de la petite communauté de douze moines. Or, le prestige du lieu va grandir, au point que le pape autorisera l’abbé à mettre sous son autorité personnelle les monastères qu’il réforme, les soustrayant de fait à leur abbé élu. Puis, cette autorité va être conférée non plus à l’abbé, mais au monastère, en tant que personne morale. On commence à parler alors d’ordre clunisien, d’esprit clunisien, et même d’état clunisien. L’abbé devient un monarque absolu ; aucun prince de l’Europe ne possède une telle autorité. Seul le pape peut y prétendre, mais ses sujets ne sont pas aussi dociles que ceux de l’abbé bourguignon.

 

À la fin du XIe siècle, l’abbaye de Cluny, phare de la Chrétienté, est à la tête d’un réseau de près de 1 400 dépendances et d’environ 10 000 moines répartis dans l’Europe entière. L’abbé Hugues de Semur décide de faire construire une église abbatiale qui représentera la puissance de Dieu sur terre, mais également la puissance de Cluny. En 1088, commence le chantier de la « Maior Ecclesia », la plus grande église romane jamais construite, dont les voûtes culmineront à 30 mètres. Après l’ajout de l’avant-nef, un siècle plus tard, l’église abbatiale de Cluny (Cluny III, car c’était le 3e chantier de l’abbatiale) restera la plus grande église de la Chrétienté pendant près de 400 ans.

 

©Svetlana Bondareva / Shutterstock.com

 

L’apport de Cluny à l’art religieux et à l’architecture fut capital. Les grands abbés étaient souvent des hommes de goût, et ils le prouvèrent grâce aux dons qui affluaient. Dans l’église, la lumière arrivait de partout, tandis que les chapiteaux étaient des chefs d’œuvre de la culture romane. Ce qui n’empêchait pas le monastère de se soucier des plus humbles. Par exemple, des objets étaient vendus pour nourrir les pauvres, ou les pèlerins de passage, toujours les bienvenus.

 

©Pecold / Shutterstock.com

Au cours des siècles suivants, de célèbres abbés se succéderont à la tête de l’abbaye – notamment Richelieu ou Mazarin, hommes forts des rois Louis XIII et Louis XIV. Pourtant, elle connaîtra un lent déclin. Et le vaste complexe de style classique dont elle fut dotée vers 1750 n’a pas longtemps profité aux moines : sous la Révolution, ils furent expulsés, les bâtiments vendus comme biens nationaux. Et l’église, ce joyau, fut achetée par des marchands de matériaux qui l’utilisèrent comme carrière de pierre… Les éléments qui sont parvenus jusqu’à nous, le bras sud du grand transept, le petit transept sud, laissent imaginer l’immensité de cet édifice. Il est encore possible d’admirer le mur d’enceinte et ses tours, les bâtiments conventuels du XVIIIe siècle, ou encore le Farinier (du XIIIe siècle) qui abrite les chapiteaux du rond-point du chœur de la « Maior Ecclesia ». Quant au musée d’art et d’archéologie, il présente des vestiges sculptés de l’église et du bourg monastique.

 

©Taljat David / Shutterstock.com