Imaginez une mosaïque miroitante de paysages humides, où se mêlent harmonieusement plusieurs bassins de vie, fragiles et complémentaires. Créés il y a deux siècles, les marais de Müllembourg sont devenus un paradis pour les oiseaux. Exploité en partie pour la production de sel, cet espace sensible est un lieu de promenade très prisé de l’île de Noirmoutier.

Les « preneurs de terre »

En 1739, Cornil Guislain Jacobsen (1709-1787) quitte Dunkerque pour s’installer à Noirmoutier. L’homme, d’origine flamande, va rapidement s’imposer en tant qu’armateur et négociant, notamment grâce à son talent pour le commerce et aux alliances qu’il va former avec les notables de l’île. Avec sa flottille de six petits bateaux, Jacobsen se lance dans le négoce de sel, qu’il achemine jusqu’à Nantes, Redon et Pornic, puis plus tard, jusqu’en Espagne.

Mais ce sont surtout les travaux d’assèchement qu’il va entreprendre qui vont inscrire le nom de Jacobsen dans l’Histoire de Noirmoutier. En utilisant la technique des polders, issue de ses ancêtres néerlandais, Cornil Guislain entreprend de défricher et drainer les vasières pour gagner des terres cultivables sur la mer. Pendant près d’un siècle, ces aménagements de grande ampleur vont s’intensifier sous la houlette des Jacobsen, armateurs de père en fils, qui ont profondément modifié le paysage noirmoutrin.

 

Une jetée entre deux mondes

En 1810, Jean-Cornil Jacobsen, fils de Cornil Gislain Jacobsen, entame de vastes travaux d’asséchement sur une zone de 50 hectares au nord-est de l’île. Pour protéger cet espace de la mer, il fait construire une digue de 1600 mètres, aujourd’hui appelée « Jetée Jacobsen », longée par un canal emprunté par les bateaux pour quitter le port de Noirmoutier-en-l’Île. Le vaste marais ainsi gagné sur la mer se compose de deux espaces distincts : le « Petit Müllembourg » et le « Grand Müllembourg », séparés par un chenal qui permet aux terres d’être irriguées grâce à un système de vannes et de clapets.

Il faudra près de 5 ans et 300 ouvriers pour réaliser cet aménagement d’ampleur, interrompu en 1812 par un raz-de-marée. Par la suite, c’est un ouragan qui endommagera la digue en 1822, puis un nouveau raz-de-marée en 1877. Lors des travaux de réhabilitation, la chaussée de la digue, devenue propriété de l’État, est carrossée et sert de chemin de halage. En 2010, pour faire face à l’élévation du niveau de la mer, la digue est réhaussée et devient un lieu de promenade. En pleins travaux, la tempête Xynthia frappe la côte. L’eau passe par-dessus la digue et envahit les marais, provoquant de nombreux dégâts matériels.

 

Entre échassiers et paludiers

Depuis la jetée Jacobsen, les promeneurs assistent à un formidable ballet : à l’ouest, le petit Müllembourg est occupé par un marais salant en activité, à l’est le grand Müllembourg présente un marais ensauvagé, composé d’îlots et de bassins peu profonds, véritables oasis de biodiversité. Ici, les sauniers au travail côtoient une faune et une flore denses, contrastées et complémentaires. Le petit et le grand Müllembourg possèdent chacun leur propre réseau hydraulique. On compte près de 45 bassins dont la profondeur n’excède pas 50 cm. La gestion de l’eau et de son niveau permet de créer des habitats aquatiques à différents gradients de salinité : une amplitude capitale pour préserver la diversité des espèces présentes dans les marais.

De cet équilibre fragile est né un milieu sensible et mouvant, refuge privilégié de l’avifaune. En hiver, les marais sont un important reposoir de marée haute pour les canards, les bernaches et les limicoles, de petits échassiers qui fréquentent les zones humides. Au printemps, c’est un site de reproduction prisé de quelques espèces nicheuses, parmi lesquelles l’Avocette élégante ou la Barge à queue noire, dont la présence reflète à elle-seule l’importance du site à l’échelle nationale et internationale.

À la trentaine d’espèces d’oiseaux recensées s’ajoutent 25 espèces végétales qui présentent un intérêt patrimonial remarquable, comme le poireau des vignes ou le jonc ambigu et 24 espèces de mammifères, comme la loutre d’Europe ou le campagnol amphibie. Sans oublier également de nombreux reptiles, amphibiens, poissons et insectes ainsi que la présence d’ânes qui entretiennent les zones en herbe des marais.

 

 

Une réserve naturelle nationale

Gérés par la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO), en partenariat avec la commune de Noirmoutier-en-l’Île et le Conservatoire du Littoral, les marais de Müllembourg font partie d’un vaste ensemble fonctionnel composé du marais Breton, de la Baie de Bourgneuf et de l’Île de Noirmoutier. La mosaïque d’habitats des marais, conservés grâce à la gestion hydraulique des bassins, joue un rôle important de préservation du patrimoine floristique et faunistique et permet de pérenniser des milieux devenus rare sur la côte Atlantique. À ce titre, les marais de Müllembourg ont été classés « Réserve Naturelle Nationale » en 1994.

La LPO Vendée propose régulièrement des animations pour découvrir le site. Devenue un lieu de promenade fréquenté, la jetée Jacobsen offre un panorama somptueux sur les marais de Müllembourg. Un spectacle qui ne doit pas faire oublier la fragilité de ce milieu. Avis aux amateurs donc : découvrons ces marais d’exception avec le respect qu’ils méritent, sans déranger la faune qui s’y abrite.

Sur les traces des Jacobsen

Le parcours patrimonial « Sur les traces des Jacobsen » retrace le destin de la célèbre famille d’armateurs sur un sentier pédestre de 7,2 km autour du marais de Müllembourg. Huit panneaux illustrés par Antoine Bugeon, permettent une plongée dans le passé maritime et balnéaire de l’île, de la rive nord du port de Noirmoutier jusqu’à l’estacade du Bois de la Chaise.