Michel Watrelot exerce à La Crèche, dans un endroit proche de la nature où les animaux sont chez eux. Peut-être sont-ils sensibles aux doux sons qui enveloppent la maison ? Le maître des lieux est en effet prof de guitare et luthier. Mais certains instruments de sa composition sont on ne peut plus singuliers…

« Les luthiers aiment bien se cacher au fond de la campagne », sourit Michel Watrelot à notre arrivée. « Mais en général, les gens finissent par nous trouver. » Manière de dire que ces véritables artisans d’art n’ont guère besoin d’une échoppe à un carrefour pour appâter les clients. Ces derniers sont de toute façon situés dans la France entière et prêts à un long déplacement pour acquérir l’objet de leur passion, surtout s’il est façonné sur mesure par Michel qu’ils auront découvert par le biais d’Internet (Facebook, Solocal, pagesjaunes.fr), ou par le bon vieux bouche-à-oreille qui fonctionne très bien dans le milieu musical.

Qui plus est, le luthier créchois possède une gamme très étendue, puisqu’à côté des guitares classiques ou guitares électriques que chacun connaît, il fabrique des instruments baroques : « Je pars du principe qu’il est plus intéressant de fabriquer des instruments que l’on ne trouve pas dans les magasins, parce que si c’est pour faire les mêmes choses que l’on trouve n’importe où à 30 €, je ne vais pas tenir longtemps ! » C’est donc à une certaine clientèle qu’il s’adresse, pas forcément des professionnels – rares, dans le baroque – mais des amateurs qui ont une pratique instrumentale et qui savent ce qu’ils veulent.

 

 

 

« Marcel Dadi est venu plusieurs fois. »

La pratique instrumentale, Michel Watrelot connaît. « Parisien d’origine, j’ai commencé la musique tout petit, par le baroque – j’ai été influencé, peut-être, par la musique du film Jeux interdits que mes parents adoraient, non pas la romance archi-connue, mais les autre morceaux, baroques, signés Robert de Visée. Plus tard, j’ai rejoint le mouvement folk du début des années 70. C’est le grand guitariste Marcel Dadi qui m’a tout appris – on a pas mal travaillé ensemble, il est venu jouer ici plusieurs fois. Le milieu folk se retrouvait au Centre américain, boulevard Raspail. On bricolait des instruments ; j’ai fabriqué un banjo avec une casserole, un dulcimer avec un manche à balai. Eh voilà, j’ai commencé comme ça ! »

Plus tard, membre d’un groupe de bluegrass en tant que joueur de banjo, il côtoie un guitariste par ailleurs luthier, formé à l’école Stradivarius, en Italie ; c’est lui qui lui apprend le métier. Une époque 100 % musique, où il n’était pas possible de se balader dans la rue sans que quelqu’un vous demande de jouer. Et toujours à proximité de Michel, se trouve Marcel Dadi. « On organisait, et cela existe toujours, une convention de guitare tous les ans à Issoudun. Je fais partie des pionniers de cette aventure. Marcel Dadi invitait des musiciens américains, j’ai rencontré énormément de guitaristes, ce qui m’a permis par la suite de créer à Niort, où je me suis installé pour raisons familiales, un festival de guitare. »

Du tronc à l’objet final

Beaucoup d’activités en même temps, donc, surtout si l’on y ajoute un emploi dans la grande distribution, jusqu’à ce jour de 1990 où Michel Watrelot fait le choix de se concentrer sur ses cours (guitare et instruments baroques) et la lutherie.

C’est donc là, dans la maison de La Crèche, qu’il fabrique les instruments, dans l’atelier divisé en deux parties : le rez-de-chaussée pour le gros œuvre, le bois à débiter – parfois des troncs entiers ! –, l’étage pour le montage et le fignolage (et les cours de musique, dans ce cadre particulièrement inspirant). « L’arbre destiné à la lutherie n’est pas coupé de la même façon. Les producteurs de bois de lutherie sont très branchés nature ; ils vont dans la forêt, repèrent les arbres, les abattent en fonction de la Lune. » Ensuite, Michel coupera le bois précisément, jusqu’à obtenir des planchettes très fines qu’il assemblera de ses mains expertes, à l’aide de colle. L’éclisse (le côté) demande une attention extrême : il faut chauffer le bois au fer avant de lui donner la forme caractéristique de la guitare, en prenant garde qu’il ne se brise pas durant la délicate opération.

Chaque partie de guitare nécessite une essence particulière : le cèdre ou l’épicéa pour les tables, c’est-à-dire le dessus des guitares, le palissandre ou l’érable pour la caisse, l’acajou pour le manche. « J’aime bien tester d’autres bois, parce qu’il y en a un peu marre de faire venir du palissandre de l’autre bout du monde, surtout aux prix actuels. Je travaille donc, de plus en plus, avec des bois de pays : noyer, érable, cerisier. » Passé le débitage, peu d’outils sont utilisés : couteau, ciseaux à bois, scies japonaises, rabots, racloirs. Rien de très spécifique à la lutherie.

 

Instruments rares et insolites

Devant nous, Michel se saisit d’un dulcimer. Un instrument originaire du Moyen-Âge, tente-t-on… Erreur ! Son ancêtre est l’épinette des Vosges, transportée par les Vosgiens aux Etats-Unis au XIXe siècle et transformée là-bas. Elle s’est arrondie, a pris du volume, est devenue le dulcimer, destiné à la musique folk et très prisé par les musiciens, Brian Jones (« Lady Jane », des Rolling Stones), ou Cindy Lauper, pour citer des exemples connus. Dans l’atelier, un dulcimer « made in La Crèche » – qui aura demandé une quinzaine de jours de travail, trois mois pour un luth – attend son acheteur.

Quelques instruments en cours de réalisation, bientôt vernis au tampon (une technique difficile mais qui permet d’avoir un son pur), ou terminés depuis belle lurette, qui appartiennent à Michel, sont posés dans la pièce, telle cette cigar box guitar, « une vraie boîte à cigares sur laquelle on met un manche de guitare ; ça date de la Grande Dépression », parfaite pour le blues. D’autres sont exposés dans une pièce de la maison. Et là, notre visite déjà pas banale prend un tour insolite : guitare à dix cordes (avec des basses supplémentaires, donc), à treize cordes (« nous sommes peu dans le monde à en faire »), mais aussi des luths, dont un baroque à cordes doublées, un théorbe, ou encore un archiluth à 14 chœurs… Or, il est difficile d’accorder (sans jeu de mots) la pratique du luth et celle de la guitare ; l’idéal serait un instrument qui combine les deux. C’est justement ce qu’a inventé notre luthier deux-sévrien : une caisse de guitare un peu modifiée avec des manches de luth. Il fallait y penser, Michel Watrelot l’a fait !

Fan de hard rock

… et même, si l’on veut être plus précis, de métal, l’un des nombreux dérivés du hard rock. Guitares électriques en avant, très fort et à un rythme endiablé (et très difficilement explicable par écrit !). On pourrait être surpris que Michel, issu du folk et luthier, notamment (mais pas que) baroque, soit un aficionado de ce style. C’est pourtant le cas.

Quand il coiffe sa casquette de prof de guitare, il enseigne à ses élèves un programme intitulé « Classique métal », deux genres a priori diamétralement opposés, mais qui, aussi incroyable que cela puisse paraître, finissent par se rejoindre. « Il y a longtemps, un élève m’a amené un disque, une horreur avec un chanteur qui faisait peur à tout le monde (rire). Au début, je l’ai rejeté. Et puis je l’ai ressorti, je l’ai écouté attentivement, et j’ai entendu, derrière les guitares, du Bach, du Paganini, du Vivaldi. J’ai fait des recherches, et effectivement, ces gars ont enregistré Les quatre saisons version métal. Et c’est super bien joué. »

Les arts ? Une question d’initiation, comme disait Gainsbourg. Même en métal. « Je m’intéresse à la musique, donc j’inclus le métal dedans, déclare Michel Watrelot. Il y a des groupes de métal, donc de musique très forte, avec vielle à roue, flûtes, cornemuse, en même temps que les indispensables basse-guitares-batterie. Ce qui importe, c’est la pratique, le niveau des musiciens. »

 

Chronologie

  • 29 juillet 1960 : naissance à Suresnes
  • Début des années 70 : période folk
  • 1974 : suit ses parents dans les Deux-Sèvres
  • 1978 : retourne à Paris
  • 1980 : service militaire
  • 1981-1990 : installation à La Crèche, chef de rayon en Grande Surface Bricolage (GSB)
  • 1990 : début des cours de guitare et lutherie jusqu’à aujourd’hui
  • 3 et 4 juin 2005 : festival « Rencontres guitare », à Niort