La duchesse d’Aquitaine, comtesse de Poitiers, où elle est décédée en 1204, épouse et mère de rois de France et d’Angleterre, est l’une des femmes les plus puissantes, les plus fascinantes de son époque. Mais qui était elle vraiment ?

Peu de femmes sont aussi célèbres qu’Aliénor, duchesse d’Aquitaine. Apparaissant dans d’innombrables romans et études historiques, évoquée dans des chansons et des poèmes, représentée sur des vitraux, dans des tableaux, dans des films, sur des timbres-poste, devenue un personnage de bandes dessinées, elle hante l’imaginaire collectif.

Conspuée par les uns et vénérée par les autres, elle est parfois présentée comme la figure tutélaire du féminisme moderne. Elle a donné son nom à des bateaux, à des restaurants, à des salles de spectacles, à des établissements scolaires, à des maternités, à des rues, à des zones d’activités… Incontestablement, son nom porte un parfum de romantisme et d’épopée, qui doit autant aux circonstances exceptionnelles dans lesquelles Aliénor a vécu qu’à sa personnalité propre. Mais entre légende et réalité historique, qui était vraiment cette femme  ?

Une personnalité influente

En 1121, Guillaume X, duc d’Aquitaine, convole avec Aénor de Châtellerault, fille d’un de ses vassaux. De leur union naît une fille, baptisée Aliénor, ce qui signifie littéralement « l’autre Aénor ». Celle-ci bénéficie d’une éducation aussi complète (elle apprend l’équitation, le latin, la musique…) que soignée. Il n’en faut pas moins car elle doit, dès son plus jeune âge, assumer des responsabilités écrasantes.

En 1137, alors qu’elle n’est âgée que de 13 ou 15 ans, elle se retrouve seule héritière de l’immense duché… La nature féodale ayant horreur du vide, il lui faut rapidement trouver un mari à la hauteur de son rang. Justement, l’avisé roi de France Louis VI cherche à marier son fils, Louis, né quelques années à peine avant elle. Le 25 juillet 1137, le mariage est célébré à Bordeaux. Il est complété le 8 août suivant, à Poitiers, par une autre cérémonie à l’issue de laquelle le nouveau roi (Louis VI étant mort le 1er août) devient officiellement duc d’Aquitaine.

 

Le couple est mal assorti. Autant Louis VII est pieux, austère, mal à l’aise et inexpérimenté, autant Aliénor est lumineuse, pétrie de culture et entreprenante. L’influence qu’elle exerce sur son royal époux est considérable, ce que déplorent les esprits chagrins. C’est elle, notamment, qui pousse le Roi à se détacher de l’abbé Suger, personnage pourtant essentiel. C’est elle aussi qui initie une campagne malheureuse contre le duché de Toulouse et provoque un conflit avec le comte de Champagne, au cours duquel les habitants de Vitry-en-Perthois sont brûlés vifs dans leur église. Pour se faire pardonner ce crime, Louis VII s’engage dans la 2e croisade (1147), à laquelle participe Aliénor… avec à sa suite troubadours, serviteurs et moult chariots. Mais l’échec de la croisade, autant que le comportement de la Reine, accusée d’adultère avec son oncle Raymond de Poitiers, provoquent une crise profonde dans le couple. Après un retour en France calamiteux (Aliénor manque de peu d’être capturée par les Byzantins), le mariage est annulé en 1152 et Aliénor recouvre ses droits sur ses anciennes possessions.

Redevenue le plus beau parti de France, elle est convoitée, mais finit par épouser à Poitiers, le 18 mai 1152, le duc de Normandie (qui est aussi comte d’Anjou, du Maine et de Touraine) Henri Plantagenêt. Celui-ci, de dix ans son cadet, est promis à un brillant avenir puisque, deux ans plus tard, il est couronné roi d’Angleterre. Aliénor coiffe donc une seconde couronne royale.

 

Sur tous les fronts !

Si elle apporte à la cour d’Henri tout le dynamisme culturel qui est le sien, elle remplit aussi pleinement son devoir de reine, en mettant au monde huit enfants (cinq fils et trois filles), qui s’ajoutent aux deux filles nées de Louis VII. Il serait faux, toutefois, de voir en cette union fertile (dans tous les sens du terme), un mariage serein. Au contraire, Aliénor reste une femme de caractère et, même si les affaires du royaume lui échappent jusque vers 1167, elle n’hésite pas à peser sur ses fils pour les inciter à tenir tête à leur père… voire à se révolter (1173), ce qui lui vaut d’être emprisonnée à Chinon puis en Angleterre. Il lui faudra attendre la mort d’Henri II pour être libérée par son fils devenu roi, Richard « Cœur de Lion ».

Après avoir déployé une activité débordante au profit de ce dernier (allant jusqu’à organiser son mariage en cours de croisade), Aliénor décide de se retirer à Fontevraud, une retraite dont elle est tirée par la mort de Richard (1199) et qu’elle ne reprendra qu’après avoir permis à son deuxième fils, Jean, dit « Sans Terre », de consolider son pouvoir, apaisé la révolte du vicomte de Thouars, rendu hommage au roi Philippe Auguste et avoir été chercher en Castille une épouse pour l’héritier de ce dernier ! Las. Le conflit franco-anglais la chasse de Fontevraud et la force à se réfugier à Mirebeau, d’où elle n’est délivrée que par l’action des armées de son fils Jean. Le 31 mars (ou 1er avril) 1204, elle s’éteint à Poitiers.

Elle aura été reine deux fois, mère de plusieurs rois, elle aura arrangé des mariages royaux, sera partie en croisade, aura fomenté des révoltes, apaisé des conflits, stimulé la vie culturelle de tout l’Occident médiéval, fait et défait des alliances… Si elle a parcouru le monde, de Chypre en Angleterre, de Poitiers à Messine ou de Mirebeau à Antioche, elle a toujours conservé un lien viscéral avec son duché, et plus particulièrement avec le Poitou, où converge son parcours de vie.

Poitiers, dont elle porte le titre (les ducs d’Aquitaine sont aussi comtes de Poitiers), est en quelque sorte son point d’ancrage : c’est là que son premier mari est fait duc d’Aquitaine, qu’elle se réfugie après l’annulation de son mariage, qu’elle se marie avec Henri Plantagenêt, qu’elle entretient une cour à la vie culturelle remarquable, qu’elle fait construire une cathédrale, pour finalement y décéder.
Symbole ultime de l’attachement à son domaine, cette femme à la stature internationale a choisi de se retirer à Fontevraud, carrefour de l’Anjou, de la Touraine et du Poitou… et lieu de son repos éternel.

 

Un duché capital

Formé en 1058 par la réunion du duché de Gascogne (qui s’étend sur les terres situées entre la Garonne et les Pyrénées) et du duché de Guyenne (qui englobe le Poitou, la Saintonge, une partie du Limousin, l’Angoumois, le nord de la Gascogne et la région bordelaise), le duché d’Aquitaine est l’une des entités les plus puissantes du royaume des Francs. C’est aussi le creuset de la civilisation médiévale classique, apogée de la culture occitane et berceau de l’amour courtois.

Chronologie

  • 1122 (ou 1124) : Naissance.
  • 1137 : Aliénor hérite du duché d’Aquitaine.
    Mariage avec le roi de France.
  • 1147 : Elle participe à la 2e Croisade.
  • 1152 : Le mariage avec Louis VII est annulé.
    Mariage avec Henri Plantagenêt, futur roi d’Angleterre.
  • 1173 : Elle trame un complot avec ses fils contre leur père Henri II Plantagenêt.
  • 1173-1189 : Elle est emprisonnée à Chinon puis en Angleterre.
  • 1189 : Elle est libérée par le nouveau roi d’Angleterre, son fils Richard Cœur de Lion.
  • 1194-1199 : Aliénor se retire à Fontevraud.
  • 1200 : Elle rend hommage au roi de France Philippe II.
    Elle se retire de nouveau à Fontevraud.
  • 1204 : Elle meurt à Poitiers.