Si Tours est délivrée du joug allemand le 1er septembre 1944, il faudra encore quelques jours avant que l’ennemi ne quitte l’ensemble du département, signant ainsi la fin de la guerre sur notre territoire. La fin de la guerre ? Pas tout à fait, pas officiellement en tout cas, ni en Touraine ni ailleurs en Europe. Mais le jour « V » finit par arriver : le 8 mai 1945, l’Allemagne ayant capitulé sans conditions, le peuple tourangeau peut enfin laisser s’exprimer sa joie, tandis que des trains spéciaux commencent à ramener les personnes libérées…

Le 30 avril 1945, les alliés sont à Munich et les Russes lancent un ultime assaut à Berlin. Recroquevillé dans son bunker, Hitler se suicide. L’amiral Dönitz lui succède à la tête du troisième Reich, dont les jours sont comptés.

« La cessation des hostilités sera annoncée aujourd’hui ou demain », lit-on le 7 mai en une de la Nouvelle République du Centre-Ouest. Ce sera pour demain, mais déjà à Tours, une rumeur joyeuse gronde. À 16 h 30, la dépêche annonçant la capitulation des dernières forces allemandes est affichée dans le hall du journal (dont le premier numéro date du 2 septembre 1944), rue de la Préfecture. Une foule immense s’arrache l’édition spéciale tirée pour l’occasion ; la bonne nouvelle se répand à travers la ville. Sans qu’aucun ordre ne soit donné, des sirènes retentissent, les cloches de la cathédrale prennent le relais, et des milliers de personnes affluent sur la place Jean-Jaurès.

Au balcon, le maire de Tours, Jean Meunier, tempère. Bien que la victoire soit imminente, il reste des poches de résistance en Allemagne : « Ce n’est que lorsque tout combat aura cessé que le général de Gaulle s’adressera à tous pour proclamer la grande nouvelle. Alors le signal prévu retentira dans la France entière. » Qu’à cela ne tienne : déjà, les rues se remplissent de brouhaha, de chants, de cris d’allégresse. L’hymne national, dont les paroles prennent tout leur sens, est entonné régulièrement par la foule. Oui, « le jour de gloire est arrivé » ! On compte plus de 30 000 personnes venues célébrer ce moment. Les enfants savent qu’ils n’auront pas école le lendemain. Une retraite aux flambeaux est organisée. « Les Tourangeaux fêtent un peu prématurément la capitulation de l’Allemagne », observe le journaliste de la NR. Pas si prématurément que cela. À vrai dire, l’Allemagne a déjà capitulé, à Reims, le 7 mai, à 2 h 41. Le second acte de la reddition allemande sera signé à Berlin le lendemain soir.

 

C’est fini !

Le 8 mai, sur le balcon de l’hôtel de ville de Tours, le matériel est en place pour retransmettre l’allocution du général de Gaulle. À 15 h, celui-ci annonce la nouvelle que tout le monde attendait impatiemment. À l’issue, les sirènes font entendre par trois fois leur mugissement, puis les cloches sonnent à toute volée ; 21 coups de canon sont tirés. Le préfet prend la parole, puis le maire, devant une foule tout ouïe. « C’est fini, semblaient dire tous ces visages, fini de souffrir et de mourir », écrit le journaliste dans le numéro de la NR siglé du V de la victoire et de la croix de Lorraine chère au général.

 

« Oui c’est fini, disait à mes côtés un vieillard qui ne pouvait retenir ses larmes. Pour moi, me dit-il, c’est le déclin, pour vous, c’est l’aurore : sachez en profiter ! »

La victoire est fêtée – à Tours comme dans le plus petit village de Touraine et dans toute l’Europe naguère occupée –, une retraite aux flambeaux part de la place Jaurès à travers la ville, où les monuments publics sont illuminés, un concert est donné aux Prébendes, un Te Deum à la cathédrale. À Amboise, les employées des établissements Guilleminot défilent. À Chambourg, les habitants se rendent en cortège au château de l’Isle Thimée. C’est ainsi dans tout le département. Ce jour historique s’achève par des bals populaires.

 

N’oublions jamais…

Un jour historique donc, de joie intense et profonde. Pourtant, entre deux notes de musique, entre deux éclats de rire, la tristesse apparaît lorsque l’on pense à ceux qui ne sont plus là. « Oui, nous nous réjouissons, mais il ne faudrait pas croire que leur pensée soit absente », déclare un habitant de Tours. « Combien de deuils attristent les familles, combien grande est l’anxiété de certains quand les absents ne sont pas encore revenus », écrit Robert Vivier dans Touraine, 39-45 (éditions CLD). Qui oubliera les 494 victimes civiles de tous les cantons de Tours, les 1 371 déportés, dont 830 ne rentreront pas (et parmi eux, 339 « raciaux »), les 233 fusillés, abattus ou exécutés, les 78 tués au combat, les 124 massacrés à Maillé, les 14 internés décédés en prison ? Et les dégâts causés par la guerre : 5 927 logements sinistrés à Tours, 1 512 immeubles détruits à Saint-Pierre-des-Corps, 8 654 logements et bâtiments détruits dans l’agglomération tourangelle, 52 maisons incendiées (sur 60) à Maillé, toutes ces infrastructures en miettes… (chiffres cités par R. Vivier.)

 

Apothéose des fêtes de la victoire, le 9 mai, la population acclame l’armée française renaissante lors d’une prise d’armes devant l’hôtel de ville de Tours, sur les marches duquel se tiennent les autorités. Le même jour, dans le quotidien local, est publiée la liste des personnes libérées, ramenées chez elles, en Touraine, par trains spéciaux.

Il faudra toutefois attendre le 2 septembre 1945, et la capitulation japonaise, pour que l’hydre soit définitivement terrassée. La Seconde Guerre mondiale sera alors terminée. Elle aura fait entre 60 et 70 millions de morts, dont 44 à 50 millions de civils.